Par Mohiro Kitoh.
4 tomes disponibles (sur 12).
Le tome 5 est attendu pour
mai 2010. Glénat, 7,50 €.
Le lectorat français friand de pop culture nippone sait aujourd’hui qu’un manga mettant en avant des héroïnes mignonnes accompagnées de mascottes rondouillardes n’est pas forcément destiné à un jeune public. Seulement en l’an 2000, c’est-à-dire il y a déjà dix ans, les choses n’étaient pas si évidentes. Aussi bien pour le public que pour certains éditeurs. Abordons donc le cas d’école que fut le manga Naru Taru, aujourd’hui réédité, et qui à l’époque en fit réfléchir plus d’un sur la façon d’aborder, d’acquérir, et surtout de vendre des œuvres nippones aux apparences trompeuses…
Avril 2000. L’éditeur Glénat lance une nouvelle série nommée Naru Taru. Celle-ci met en scène une jeune fille dynamique découvrant, lors de ses vacances sur une île, une étrange créature qui deviendra bientôt une « mascotte » capable de l’emmener voler dans le ciel ! Shiina Tamai va donc vivre de folles aventures à la rencontre d’autres jeunes gens de son âge, capables eux aussi de communiquer avec ces étranges mascottes ! Qui sont-ils ? Et qui sont ces curieuses créatures humanoïdes ressemblant à des fées, mais n’hésitant pas à tuer pour leur simple plaisir ?
Avec ce type de premier tome, Glénat pense tenir un titre sympathique destiné à un large public. Le deuxième volume sort peu après, mais tout à coup, la parution est stoppée nette. Motif ? L’éditeur suit de près aussi la parution nippone de Naru Taru et découvre, effaré, une scène d’une violence insoutenable dans le volume 6 : une jeune adolescente littéralement coupée en deux ! Branle-bas de combat ! Le gentil manga que l’éditeur français avait acquis se révèle bien vite être une œuvre destinée à un public mature et averti. La rumeur dit même que l’éditeur nippon fut surpris par les dérives gores et malsaines de son auteur, mais décida tout de même de poursuivre la publication de la série.
Stéphane Ferrand, alors rédacteur pour le magazine Animeland, s’insurge contre ce qu’il considère comme un acte de censure, tout en comprenant implicitement la position délicate de l’éditeur français. Ce cas d’école fit les choux gras de la presse spécialisée (peu nombreuse il est vrai à l’époque)…
Toutefois, pour qui connaissait l’œuvre de l’auteur Mohiro Kitoh, l’incident était presque prévisible. Cet auteur est en effet spécialisé dans les récits à l’ambiance malsaine et romantique (dans le sens noir du terme), mettant régulièrement en scène des lolitas filiformes dans des thrillers horrifiques ou des histoires d’amour finissant mal. Avec Naru Taru, on aurait pu croire au début que Mohiro Kitoh voulait changer de registre et s’adresser à un public plus large en mettant de l’eau dans son vin. Mais chassez le naturel…
Près de dix ans plus tard, en 2009, Stéphane Ferrand est désormais directeur éditorial chez Glénat et décide de relancer la série Naru Taru ! Revanche ? La réponse de l’intéressé est plus nuancée : « À l’époque de la première parution de Naru Taru, le manga en général était très décrié sur la place publique française, et considéré par certains comme la lie de la bande dessinée. Sous la pression de certains médias et de ‘bien pensants’, plus ou moins bien placés dans la société française, il était alors ‘politiquement correct ‘ de casser de la BD nippone ! Certains mangas érotiques étaient même retirés des étalages sous la pression de la justice (notamment les œuvres de U-Jin chez l’éditeur Tonkam). Ainsi Glénat n’a pas voulu prendre de risque en publiant une œuvre qui aurait pu lancer une polémique, justifiée ou non… Aujourd’hui, la donne a changé. Certains mangas sont devenus des références, voire des classiques unanimement salués par la critique. Le public français actuel sait désormais qu’il ne faut pas se fier aux apparences dans la BD japonaise, et il est aussi conscient qu’il existe des mangas pour tous types de publics, clairement identifiés et classés par genre (Shôjô, Shônen, etc.), adulte y compris (Seinen). Ce dernier genre a ainsi acquis ses lettres de noblesse, ce qui permet à Naru Taru de trouver, d’une part une seconde chance, et d’autre part une place qui lui faisait défaut il y a une dizaine d’années. Ainsi, ce manga ne sera pas censuré, mais lors de sa parution française, le fameux volume 6 portera sur sa couverture un avertissement pour public averti et mature, comme pour n’importe quel autre titre adulte. »
Jusque-là, nous avons parlé de l’actualité éditoriale du manga, mais qu’en est-il du titre en lui-même ? Naru Taru démarre comme une sympathique aventure, c’est vrai. Mais bien vite, dès le deuxième volume, l’atmosphère se fait plus pesante, les différents adolescents maîtrisant les pouvoirs de leurs « dragons » (et non pas « mascottes ») n’ont pas tous de nobles motivations. Après tout, commettre des atrocités n’est pas l’apanage des adultes ! De même, on entrevoit la face cachée de certains protagonistes, leurs angoisses, leurs appréhensions devant ces étranges créatures capables indifféremment de faire le bien comme le mal. Mal dont on découvrira l’horrible démonstration dans le tant redouté volume 6…
Non, Mohiro Kitoh ne prend pas son lectorat en traître en lui assénant sans prévenir cette fameuse scène. Une séquence, qui, honnêtement, n’est pas ce qu’on a vu de pire dans le genre gore et malsain, que ce soit dans le manga ou dans la BD franco-belge ! Mohiro sait plus que quiconque qu’un conte peut aussi recéler une part sombre et morbide et décide d’en faire son fil conducteur. Celui-ci installe progressivement une ambiance lourde, grâce à l’intervention d’autres dragons à l’allure faussement innocente, et nantis d’une cruauté peu commune. Son graphisme fin et délicat, sa mise en scène claire et lisible, en font un auteur agréable à lire, sachant ménager ses scènes chocs à ses lecteurs qui, on l’espère, sauront donner une seconde chance à ce manga atypique…
NOTE : Ce manga a bénéficié d’une adaptation animée pour la télévision nippone, encore inédite en France à ce jour. Plus d’infos sur le site d’Anime News Network, et une bande-annonce (en anglais) PAR ICI.